INTERVIEW THIERRY MARX : « PARIS EST MA VILLE DE CŒUR ! » 09 July 2025, Nicole Korchia

INTERVIEW THIERRY MARX : « PARIS EST MA VILLE DE CŒUR ! »

UN HOMME ENGAGÉ QUI FAIT BOUGER LES LIGNES

Votre chemin n'était pas tracé et pourtant vous êtes devenu un chef étoilé et un entrepreneur à succès, la vie a-t-elle plus d'imagination que nous ? 
Je crois que peu importe l'extraction sociale de laquelle vous sortez, l'important c'est de se mettre en situation de projet, de se demander : « je me vois où demain ? », et de commencer à établir cette verticalité absolument nécessaire. J'aime cette phrase du général de Gaulle : « regardez toujours au-dessus de la ligne d'horizon ». Vous y verrez beaucoup plus d'opportunités que vous ne le croyez. Moi, j'ai bénéficié d'une éducation modeste qui disait : « ce n'est pas de la faute des autres. Prends ton chemin en main et regarde devant toi ».  Cela m'a appris à compter sur moi.


 
Avez-vous été élevé avec l'idée que tout était possible ?
Non, mais je me suis forgé cette idée que tout était possible, principalement en pratiquant différentes disciplines martiales. Je me souviens d'un professeur au Japon qui me disait « Rien d'impossible a une âme honnête ». Il faut être droit et avancer dans le sens de son projet.
 
Petit clin d'oeil à la vie, aujourd'hui, vous dirigez onze écoles Cuisine Mode d'Emploi, alors qu'adolescent vous avez été refusé à l'école hôtelière. C'est surréaliste, non ?
Oui, et en même temps, il ne faut pas oublier qu'on était dans des époques où on avait des stéréotypes. Le mauvais élève devait aller en mécanique générale, ne pas faire d'études secondaires, etc. Donc, dès lors que vous ne rentriez pas dans les cases, et c'est encore vrai aujourd'hui, vous ne pouviez pas entrer par la porte. Alors vous deviez entrer par la fenêtre.
 


D'ailleurs vos écoles donnent leur chance à des gens aux parcours chaotiques. Auriez-vous un message à adresser au ministère de l'Education ?
Je ne suis pas le premier à avoir choisi cette voie car les compagnons de devoir l'ont fait avant moi il y a 900 ans. J'ai simplement ouvert le possible à autre chose. On a en France un fonctionnement scolaire qui consiste à : apprendre pour faire. Et si vous ne le respectez pas, le système vous éjecte. Moi, je crois qu'il y a un autre plateau de la balance, qui est : faire pour apprendre, et notamment pour des publics en manque de projets ou de repères, il faut faire preuve de proposition, pour qu'à un moment donné, ces gens ressentent une attractivité pour nos métiers. Aujourd'hui il y a encore en France 150 000 jeunes qui sortent de l'école sans diplôme et sans projet.
 
Racontez-nous une belle histoire de réussite à l'issue de vos écoles.
Voici quelques chiffres : 92% d'inclusion vérifiée et 7% de création d'entreprise. Donc il y a beaucoup de belles histoires…
L'autre jour à Bordeaux une petite dame s'est approchée et m'a dit : « j'ai fait Cuisine Mode d'Emploi, puis j'ai un peu ramé en travaillant dans des restaurants, mais maintenant j'ai mon propre restaurant ». C'est génial ! Voilà quelqu'un qui est arrivé chez nous avec d'importantes difficultés, et qui finalement a un des meilleurs restaurants de Bordeaux. Pas le plus chic, mais en tout cas le plus fréquenté, avec des plats simples et des produits locaux. Sans réservation, vous n'aurez aucune chance d'y manger ! Ca fait partie des belles aventures de personnes qui reprennent leur vie en main à un moment donné, et trouvent dans la cuisine, un emploi et une opportunité.


 
Quels sont les 3 mots qui ont guidé votre carrière ?
Rigueur, engagement et régularité. La rigueur, c'est votre verticalité. Car c'est vous qui allez mettre la rigueur pour vous former, pour développer votre curiosité, pour faire de vous un homme libre. L'engagement, c'est lâcher la main du passé quand il devient trop lourd ou trop compliqué. Et la régularité, c'est de le faire tous les jours, sans avoir besoin de faire le grand écart de temps en temps, pas à pas. Le pas du montagnard, un pied devant l'autre.
 
Vous faites rayonner la gastronomie française, et pourtant vous vous êtes très vite affranchi des codes en misant sur la fusion.
Oui. J'ai cassé les codes parce que je n'ai pas eu le choix. J'aurais bien aimé être dans la norme, mais je n'ai jamais su faire. La fusion fait partie de ma vie. Je suis né dans le 20ème arrondissement de Paris dans un quartier de mixité.Quand je sortais de l'école, je prenais la rue de la Chine, du Japon, du Laos, du Cambodge… Ca ne pouvait que me donner des idées de voyage. Ménilmontant est un quartier de diversité absolue, dans la cuisine, les couleurs, la population… D'ailleurs, à mes débuts Libération avait titré avec beaucoup de bienveillance d'ailleurs : « Thierry Marx, ceinture noire et cordon bleu, l'anti-terroir ». J'ai dérangé les gens et les cercles établis, pourtant j'ai longtemps essayé de rentrer dans le moule.

 
Vraiment ?
Oui mais quand le moule ne veut pas de vous, vous ne pouvez pas vous tordre, vous plier. J'ai trop souvent vu des gens se coucher pour rien. Et moi, ce n'est pas mon éducation.
 
Vous avez beaucoup parcouru le monde, quel a été votre premier pays visité ?
J'ai commencé les voyages en partant seul avec un sac à dos au Portugal, en Espagne, en Hongrie. Les copains étaient courageux pour plein de choses, mais bouger leur foutait les jetons. Alors que moi, ça ne m'a jamais impressionné plus que ça de passer une nuit à la belle étoile ou dans un hall de gare. Voyager m'enrichissait culturellement et intellectuellement. Je trouvais ça extraordinaire… même si le budget était très contraint ! (Sourire)
 
C'est après que vous avez découvert le Japon ?
Oui grâce au Judo à travers l'école Kordofan de Tokyo. Et ensuite mon métier m'a amené à travailler en Australie, Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis, puis au Japon et en Thaïlande avant de revenir en France.


 
Parmi toutes ces cuisines du monde, laquelle vous bouleverse particulièrement ?
La cuisine japonaise parce que je l'ai étudiée sur toutes ses facettes, des plus populaires jusqu'au plus haut niveau de la gastronomique traditionnelle japonaise avec le kaiseki. Elle me bouleverse, parce qu'elle est basée sur des valeurs simples et des grandes qualités de produits. Et puis, la cuisine française, c'est pareil lorsqu'on sait la regarder avec un peu plus d'attention.

Parlez-nous de Onor, votre adresse parisienne étoilée.
Il n'y a pas un concept particulier. C'est un restaurant basé sur la gastronomie, qui poursuit notre idée de s'entourer de personnes passées par nos écoles d'insertion Cuisine Mode d'Emploi, qui s'intéressent à l'aguerrissement de la cuisine de haut niveau. On est dans une économie à responsabilité sociale et environnementale. Donc, on fait très attention à l'énergie, à nos staffs, au fait que les produits que nous utilisons viennent d'une agriculture qu'on sait maîtriser, avec 80% végétal et 20% protéines animales. Le chef Ricardo Silva et son sous-chef Dorian Weibel font une cuisine vraiment extraordinaire.


 
Vous officiez également à la Tour Eiffel chez Madame Brasserie, un cadre mythique !
C'est un honneur. La Tour Eiffel est un symbole planétaire du monde ouvrier et de l'innovation française. C'est un bâtiment qui impose le respect, et en même temps, l'humilité pour nous qui ne sommes que des artisans des métiers de bouche.
 
Il vous procure inlassablement de l'émotion ?
J'y suis deux fois par semaine car je fais le service avec les chefs, et j'adore prendre mon café en regardant le jour se lever. Quand vous êtes au coeur de la Tour Eiffel, c'est quelque chose de magique. Quant à Madame, c'est une brasserie qui reste accessible, où tout est fait maison avec une offre courte réalisée sur place. On y fait jusqu'à 600 couverts. Les gens sont très heureux d'y venir, et en plus ils voient tout Paris.


 
Justement vous qui avez tant voyagé, êtes-vous amoureux de la capitale ?
Oui, je ne peux me passer de Paris. C'est vraiment ma ville de coeur et je suis « Paris-gauche » ! (Sourire) J'ai un attachement particulier pour le 20ème car c'est cet arrondissement qui m'a façonné. J'y ai un atelier juste à côté du Père-Lachaise.
 
Quels sont les autres lieux parisiens que vous appréciez, votre adresse incontournable ?
Je pourrais en citer des dizaines. Le passage Panorama, par exemple. Et puis, il y a des déambulations dans le 20èmecomme le passage des Soupirs, ce qu'on appelle la campagne à Paris, vers la rue du Surmelin ou la rue du Capitaine Ferber. Mes balades se terminent souvent par un café Place Edith Piaf, au coeur du quartier Saint-Fargeau.
Et puis mon adresse obligée, c'est le chocolatier Patrick Roger. C'est de notoriété publique, je suis « chocolique » et je mange du chocolat tous les jours. C'est ce qui m'amène ma bonne humeur légendaire. (Rire)


 
On vous questionne beaucoup sur votre parcours, mais vous, auriez-vous un coup de chapeau à donner ?
 Je pourrais en donner à plein de gens, comme au sociologue Edgar Morin avec lequel j'ai beaucoup échangé. C'est quelqu'un qui, dans sa pensée complexe, ma 'impressionné dans tous ses écrits. Il a 102 ans aujourd'hui, et il m'a effectivement ouvert les yeux sur pas mal de choses. Mais je pourrais vous citer 15 personnes qui, à un moment donné, m'ont influencé. Comme par exemple JP Géné, un critique gastronomique du Monde, qui écrivait des articles merveilleux. On a passé du temps ensemble et il m'aidait dans mes écoles en milieu carcéral. Il y a aussi le sociologue Claude Fischler avec lequel j'apprécie de dialoguer et dont j'ai suivi les cours. J'aime ces gens qui ont une écriture, et un regard éclairé sur la vie.
 
www.onor-thierrymarx.com 
 
https://www.restaurants-toureiffel.com/fr/madame-brasserie.html

Crédit photos : © Mathilde de Lecotais
 

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